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La transposition du « Paquet Marques »
Le département IP du cabinet Hoche Avocats vous présente l’actualité de la transposition du « Paquet Marques ».
La transposition du « Paquet Marques »
Par le département IP du cabinet Hoche Avocats (Régis Carral, Avocat associé, Frédérique Forget, Avocate Counsel, Anne-Charlotte Barthélemy, Avocate, Clémence Delebarre, Avocate).
Le « Paquet Marques », composé par le Règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 et la Directive (UE) n°2015/2436, a finalement été transposé en droit français par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, publiée au Journal Officiel du 14 novembre 2019. Cette ordonnance a été complétée par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019 et l’arrêté du 9 décembre 2019 relatif aux redevances de procédures de l’INPI. À l’exception des dispositions relatives à la procédure administrative de nullité et de déchéance, entrant en vigueur le 1er avril 2020, les dispositions de l’ordonnance et du décret entrent en vigueur le 11 décembre 2019.
Cette transposition constitue une réforme majeure du droit des marques sur le plan national en ce qu’elle concerne l’ensemble des six chapitres du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) relatifs aux marques nationales. Elle opère de profonds changements tant sur le plan matériel que procédural, qui auront des conséquences majeures pour les titulaires de marques. Nous vous proposons une présentation rapide des principaux impacts de la réforme.
1. Les nouveautés relatives à l’enregistrement d’une marque
1.1. Eléments constitutifs de la marque
- L’exigence de représentation graphique est supprimée du nouvel article L. 711-1 du CPI.La marque doit être représentée « sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible, sous réserve de pouvoir être représentée dans ce registre de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective » (nouvel article R. 711-1 du CPI). Cela devrait permettre l’enregistrement de marques sonores (via un fichier MP3) ou encore de marques multimédia ou en mouvement (via un fichier MP4) (déjà possible auprès de l’EUIPO). Néanmoins, la possibilité d’enregistrer des marques plus atypiques, telles que les marques olfactives ou gustatives n’est pas prévue.• L’ordonnance élargit la liste des motifs de refus d’enregistrement automatiques (nouvel article L. 711-2). Le droit antérieur permettait d’exclure les marques dépourvues de caractère distinctif, illicites, ou trompeuses. L’utilisation d’une dénomination de variété végétale antérieure, d’indication géographique ou d’appellation d’origine, ne sera désormais plus possible.• De nouvelles antériorités opposables à un dépôt de marque sont ajoutées (nouvel article L. 711-3 du CPI). La liste des antériorités opposables à un dépôt de marque (marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, AOP/IG, droit d’auteur, dessin et modèle, droits de la personnalité, nom, image ou renommée d’une collectivité territoriale) est complétée par :
– Les marques antérieures jouissant d’une renommée en France ou dans l’Union, lorsque l’usage du signe sans juste motif tirerait indument profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porterait préjudice ;
– Les noms de domaine, dont la portée n’est pas seulement locale ;
– Les noms, images ou renommées des établissements publics de coopération intercommunale (EPIC) ;
– Les noms des entités publiques.
1.2. Acquisition du droit sur la marque
- La réforme prévoit l’exigence d’une liste « claire et précise » des produits et services visés par une marque (nouvel article R. 712-3-1). Une marque ne sera protégée que pour les produits et services expressément visés. L’utilisation de termes généraux, y compris les indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice, sera interprétée comme incluant tous les produits ou les services qui en relèvent clairement au sens littéral.
- Le système de paiement des taxes est modifié. La taxe forfaitaire pour 1 à 3 classes de produits et/ou services, puis une taxe individuelle par classe supplémentaire, laisse place à une taxe individuelle par classe, dès la première classe (article 2 de l’arrêté du 9 décembre 2019 relatif aux redevances de procédures de l’INPI).
- La date de renouvellement d’une marque est modifiée (nouvel article R. 712-24).La demande de renouvellement peut désormais intervenir, au plus tôt, 1 an avant l’expiration de la marque et, au plus tard, dans un délai supplémentaire de 6 mois à compter du lendemain de l’expiration. Toute marque devra avoir été renouvelée à sa date anniversaire, et non plus au dernier jour du mois anniversaire.
- La procédure de renouvellement anticipé associé à un nouveau dépôt, qui permettait de renouveler une marque et d’effectuer en même temps un nouveau dépôt portant sur une forme modifiée de cette marque,est abrogée par la réforme.
- Dans le cas où une opposition a été formée ou une demande en déchéance ou en nullité a été présentée à l’encontre d’un dépôt ou d’un enregistrement,le titulaire peut déposer une demande de division de son dépôt ou de son enregistrement (nouvel article R. 712-27). La division ne peut porter que sur les produits et services qui ne font pas l’objet de cette opposition ou de cette demande en déchéance ou en nullité.
1.3. Droits conférés par l’enregistrement de la marque
• La notion jurisprudentielle d’« usage de la marque dans la vie des affaires » est codifiée aux nouveaux articles L. 713-2 et L.713-3. Ainsi, seule l’utilisation effective dans la vie des affaires du signe pour désigner des produits ou services peut constituer un acte de contrefaçon, à l’exclusion donc du simple dépôt à titre de marque. Le dépôt qui, en lui-même, porterait atteinte à une marque antérieure pourra être sanctionné par une opposition à la demande d’enregistrement ou par la nullité de la marque si elle est enregistrée.
- La protection de la marque française renommée est améliorée (nouvel article L. 713-3). L’usurpation d’une marque nationale renommée constitue une atteinte au droit des marques, et non plus un acte engageant la responsabilité civile de son auteur. Ainsi, le titulaire d’une marque renommée pourra désormais bénéficier de l’action en contrefaçon. Il pourra également former une opposition ou agir en nullité à l’encontre d’une marque postérieure identique ou similaire désignant des produits ou services identiques, similaires ou différents.
- L’atteinte portée à une marque notoire(c’est-à-dire non enregistrée bénéficiant d’une protection du fait de sa notoriété) sera désormais sanctionnée sur le seul terrain de la responsabilité civile (nouvel article L. 713-5).
- L’ordonnance crée de nouvelles dispositionsrelatives aux marques de garantie, anciennement dénommées marques collectives de certification (nouveaux articles L. 715-1 à L. 715-5) et aux marques collectives (articles L. 715-6 à L. 715-10), dont le régime était jusqu’alors non défini en droit français.2. Les principales modifications matérielles et procédurales de la procédure d’opposition• Les droits antérieurs susceptibles d’être invoqués dans une opposition sont étendus (nouvel article L.712-4). Jusqu’à présent une opposition à une demande de marque française ne pouvait être fondée que sur une marque antérieure ayant effet en France. Désormais une opposition à une demande d’enregistrement pourra être fondée sur :
– une marque renommée,
– une dénomination sociale ou une raison sociale,
– un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine (dont la portée n’est pas seulement locale),
– une indication géographique,
– le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale,
– le nom d’une entité publique.
L’ordonnance octroie ainsi aux acteurs économiques une protection plus large en pouvant invoquer une antériorité sans être nécessairement titulaires d’une marque.• L’opposition pourra être basée sur plusieurs droits appartenant au même titulaire (nouvel article L. 712-4-1), comme c’est déjà le cas dans les procédures d’oppositions devant l’EUIPO pour les marques de l’Union européenne. - En plus du délai habituel d’opposition formelle de deux mois suivant la publication d’un dépôt,l’ordonnance prévoit l’instauration d’un mois supplémentaire pour fournir l’exposé des moyens sur lesquels repose l’opposition, ainsi que certaines pièces (nouvel article R. 712-14).
- Une phase d’instruction mettant en œuvre un débat contradictoire entre les parties est créé par le nouvel article L.712-5 du CPI. Cette phase d’instruction commence à l’expiration du délai supplémentaire d’un mois suivant la fin du délai d’opposition (nouvel article R. 712-16-1).
- L’opposant est désormais tenu, sur requête du titulaire de la demande d’enregistrement, de démontrer l’usage sérieux de sa marque servant de base à l’opposition pour chaque produit ou service invoqué contre la demande d’enregistrement contestée (nouvel article L. 712-5-1), et non plus pour un seul produit ou service invoqué.L’INPI ne retiendra pas comme fondement de l’opposition les produits ou services pour lesquels l’usage n’a pas été rapporté. Aux fins de l’examen de l’opposition, la marque antérieure ne sera réputée enregistrée que pour ceux des produits ou services pour lesquels un usage sérieux a été prouvé ou de justes motifs de non-usage établis.
- La possibilité de suspendre la procédure sur demande conjointe des parties est étendue à 3 périodes de 4 mois (12 mois maximum au lieu de 6 sous le droit antérieur) (nouvel article R. 712-17 4°).
- La création des procédures administratives en nullité et en déchéance
- L’ordonnance opère un transfert de compétence du tribunal de grande instance à l’INPI s’agissant des demandes en nullité ou en déchéance de marques (nouvel art. L. 716-5 CPI).L’objectif principal de ce transfert de compétence est de faciliter les demandes de nullité et déchéance pour libérer les registres de marques de titres qui n’ont pas à y figurer et qui bloquent l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs.Cette disposition prévoit quel’INPI est seul compétent pour statuer sur les demandes en nullité ou en déchéance formées à titre principal lorsqu’elles sont exclusivement fondées sur :
tous les motifs absolus (conditions de fond de la protection, par exemple absence de caractère distinctif, caractère trompeur, etc.);
– les motifs relatifs liés aux signes distinctifs (marque antérieure, dénomination sociale, nom commercial, enseigne, nom de domaine, nom d’une entité publique) et aux signes territoriaux (nom des collectivités territoriales et des EPCI, appellations d’origine et indications géographiques) ;
– tous les motifs de déchéance.
Les tribunaux de grande instance seront seuls compétents pour connaître :
– des demandes en nullité fondées sur une atteinte à un droit antérieur tel qu’un droit d’auteur, un dessin ou modèle ou un droit de la personnalité ;
– des demandes reconventionnelles en nullité ou en déchéance en l’absence de toute saisine antérieure de l’INPI, quel que soit le motif invoqué ;
– de toute demande en nullité ou en déchéance, quel que soit le motif invoqué, lorsqu’une telle demande est connexe à toute autre action relevant de la compétence du tribunal (comme par exemple une action en contrefaçon, en concurrence déloyale ou en responsabilité contractuelle) ou lorsque des mesures probatoires, provisoires ou conservatoires ont été ordonnées afin de faire cesser une atteinte à un droit de marque et sont en cours d’exécution avant l’engagement d’une action au fond.Les contentieux déjà en cours entre les parties resteront de la compétence judiciaire.• Les règles applicables à l’action en nullité sont définies aux nouveaux articles L. 716-1 à L.716-2-8, et celles applicables à la demande de déchéance d’une marque aux nouveaux articles L. 716-3 et L.716-3-1.
Parmi les apports majeurs de la réforme s’agissant des demandes et actions en nullité et en déchéance, peuvent être relevées les dispositions suivantes :
– L’ordonnance instaure un nouvel « article 700 » devant l’INPI (nouvel article L. 716-1-1) : le directeur de l’INPI peut mettre à la charge de la partie perdante tout ou partie des frais exposés par la partie gagnante dans la limite d’un barème défini par arrêté ministériel.
– L’existence d’un intérêt à agir est supprimée pour les actions en nullité fondées sur des motifs absolus (nouvel article L. 716-2) et pour les actions en déchéance (nouvel article L. 716-3).
– L’action ou la demande en nullité d’une marque n’est soumise à aucun délai de prescription (nouvel article L. 716-2-6).• Les dispositions relatives à la procédure administrative de nullité et de déchéance entreront en vigueur le 1er avril 2020.
4. Les nouvelles règles applicables à l’action en contrefaçon
• Les licenciés non exclusifs ou les personnes habilitées à faire usage d’une marque de garantie ou d’une marque collective peuvent désormais engager une action en contrefaçon (nouvel article L. 716-4-2) avec le consentement du titulaire, sauf mention contraire du contrat ou du règlement d’usage.
- L’ordonnance précise le point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon (nouvel article L. 716-4-2), jusqu’alors non prévu par le droit français. Le délai de prescription de 5 ans court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant d’exercer l’action.
- Des fins de non-recevoir pouvant être soulevées par le défendeur à une action en contrefaçon sont ajoutées aux nouveaux articles L. 716-4-3 et L.716-4-5. Une action en contrefaçon sera notamment déclarée irrecevable si le demandeur ne peut rapporter la preuve d’un usage sérieux de sa marque pendant la période de 5 ans précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, ou s’il est établi qu’il a toléré pendant cette même période de 5 années consécutives l’usage de la marque postérieure.
- Le nouvel article L. 713-3-2 établit la possibilité pour les autorités douanières de réaliser des retenues pour des marchandises en transit soupçonnées de contrefaçonsans qu’il soit nécessaire que le titulaire de la marque prouve qu’elles sont destinées à un Etat où leur commercialisation est interdite.***C’est avec un retard de 10 mois que le « Paquet Marques » a finalement été transposé en droit français par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, complété par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019. Les objectifs avoués de cette réforme sont notamment d’épurer le registre de marques, de déjudiciariser une partie du contentieux et de rapprocher la vie juridique de la marque de la réalité de la vie des affaires. Reste à voir si en pratique ces nouveaux objectifs seront remplis.Les textes précités sont consultables aux liens ci-dessous :
– Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services: https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039373287&categorieLien=id
– Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 relatif aux marques de produits ou de services : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039467798&categorieLien=id
– Arrêté du 9 décembre 2019 relatif aux redevances de procédures de l’Institut national de la propriété industrielle : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039468385&categorieLien=id